Devenir un lieu où l'on peut développer et partager des savoir-faire, c'est l'une des ambitions des ateliers Jean Moulin. Après une période difficile liée à la pandémie, de plus en plus de créateurs viennent s'installer dans les locaux de l'ancien lycée professionnel, attirés par les opportunités de rencontres et d'échanges. La linograveuse Julia Chorin et le tailleur Hugues Roger nous racontent le parcours qui les a menés à Plouhinec.
Elle désire partager ses compétences. Il souhaite développer son activité. Julia Chorin et Hugues Roger sont parmi les premiers créateurs à avoir choisi de s'implanter aux ateliers Jean Moulin, dans l'objectif d'enrichir leur parcours professionnel.
Originaire de Quimper et résidant à Pont l'Abbé, la jeune linograveuse se passionne pour le dessin et les loisirs créatifs depuis l'enfance. Après un BTS en communication visuelle et une licence professionnelle en web multimédia, Julia s'est penchée sur la sérigraphie textile avant de s'essayer aux illustrations sur papier. « Alors que je cherchais encore un nouveau procédé artistique, la linogravure a éveillé mon intérêt il y a trois ans », se souvient la jeune femme, qui explique la démarche : « il s'agit de graver un motif dans des plaques de linoléum avec des bouges. On enlève ensuite la matière avant d'encrer les plaques. Un système de tampon vient ensuite presser l'encre sur le papier ». La linogravure ne demande pas un gros investissement matériel. Il suffit d'une plaque de plexiglas, d'une plaque de verre, de papier, d'encre à l'eau, de gouges et, enfin, de gomme ou de plaques de linoléum. « Ce n'est pas du tout onéreux mais ça demande beaucoup de patience et de précision », prévient l'artiste.

« Il y a quelques années, j'aurais aimé pouvoir suivre des stages dans le coin »
Après s'être lancée en solo, Julia a vendu ses créations sur les marchés, au fur et à mesure. C'est ainsi qu'elle a rencontré Françoise Maine, coordinatrice des ateliers Jean Moulin, à l'été 2019, sur le marché d'artisans et de créateurs de Pont l'Abbé. « Françoise voulait organiser des ateliers manuels liés au papier, sur une tendance artisanale et locale. Elle m'a proposé de donner des cours, ce que j'ai accepté ». Après avoir lancé de petits ateliers à Jean Moulin, Julia décide de développer le concept un peu partout dans le Pays bigouden. Une nouvelle expérience pour l'artiste. « Il y a quelques années, j'aurais aimé pouvoir suivre des stages dans le coin, au lieu de me former à trois heures de route de mon domicile », assure-t-elle .
De son côté, Hugues Roger poursuit un parcours déjà conséquent dans la couture. Tout a commencé il y a 23 ans à Nantes, lorsque, BTS comptabilité en poche, il s'est investi dans des cours de base en couture. « J'ai ensuite suivi un atelier en équivalent de cours du soir pendant un an, pour en apprendre davantage. Je me suis vraiment senti attiré par l'architecture du vêtement, qui touche au corps humain et à l'intime », confie-t-il. Il intègre rapidement un centre de formation pour les apprentis afin d'obtenir son bac pro artisanat et métiers d'art, en option habillement. Avant d'enchaîner sur une foule de stages...
« Quand on se lance, on passe des concours de jeunes créateurs. Ça permet de se comparer, de rencontrer des gens et d'obtenir des petits contrats », explique-t-il. Hugues Roger a ainsi pu se former auprès du grand couturier français Thierry Mugler, à Saint Barthélémy d'Anjou, et de la styliste britannique Vivienne Westwood, à Londres.
Il a aussi pu suivre de nombreux façonniers du luxe en Vendée. Parmi eux, la responsable des vestes Louis Vuitton et une amie de Kenzo Takada... « C'est l'expérience qui fait le professionnel. J'ai donc appris sur le tas, par le biais de tous ces gens-là ».

« Je cherche la veste qui tombe parfaitement et sublime le corps »
Ce long apprentissage lui a également permis de définir un cap. « Je ne fais pas partie de ceux qui peuvent rester dans un atelier pendant quarante ans. Je suis plutôt orienté tailleur -ce qui concerne les pièces à manches - que flou - la catégorie des robes. Je cherche en permanence la veste idéale, pour homme et pour femme, qui tombe parfaitement et sublime le corps ».
Son chemin personnel et professionnel l'a finalement mené en Cap Sizun. « Depuis deux ans, j'y viens en vacances pour décompresser et rendre visite à ma sœur, qui a une maison dans le secteur. À chaque fois, je tombe amoureux du pays, de la culture, de la langue, des arts et de la richesse des mouvements culturels ». À tel point qu'il décide d'acheter à son tour une maison à Audierne, en juin 2019. Avant de s'y installer pour de bon après le premier confinement.
Et, alors qu'il suit des stages de création d'entreprise en Cornouaille, Hugues entend parler des ateliers Jean Moulin lors d'une réunion à la maison des services, à Audierne. « Je me suis donc présenté à l'accueil et Françoise m'a fixé un deuxième rendez-vous. On a alors réalisé tout ce que l'on pouvait faire ensemble », se réjouit le tailleur.
Son dossier validé, Hugues investit son local de 30 m² le 5 décembre 2020, avec tout son matériel : rubans brodés, fil, zips de toutes les formes de toutes les couleurs, toile, stocks de dentelle et de doublures, rouleaux de laine, des kilomètres de rubans en rouleaux, des patrons, des mannequins, des machines... « De plus, les ateliers Jean Moulin m'ont prêté une superbe table de coupe qui se trouvait sans doute dans la laverie de l'ancien lycée », se réjouit-il. Le voilà prêt à lancer son atelier de haute couture et de stylisme. Le nom de l'enseigne, Hugues et Paul, fait référence au tailleur et à son associé Paul Ladmirault, chargé des relations publiques et de la commercialisation.
Cours de couture et gymnastique de l'esprit
Hugues Roger souhaite développer deux types d'activité dans les locaux de l'ancien lycée. La première n'est autre que son cœur de métier : la création de vestes et de manteaux sur-mesure ou en prêt à porter de luxe, destinés à des boutiques très haut de gamme,
Mais il souhaite également donner des cours de coupe et de couture. Une activité qui devrait démarrer dès fin février 2021. « J'accueillerai les personnes intéressées en entretien individuel pour évaluer leur niveau, leurs besoins, leurs envies et leurs objectifs. À partir de là, ils créeront eux-mêmes les pièces qu'ils désirent. J'aimerais également organiser un événement annuel autour de la couture, peut-être sous forme d'exposition », annonce-t-il.
Partager sa passion et son expérience est également une priorité pour Julia Chorin. « Je souhaite montrer aux gens la réalité du métier d'artisan et, peut-être, susciter des vocations chez certains »,
La jeune femme privilégie des ateliers réunissant un petit nombre de participants, entre trois et six personnes en moyenne. « Je commence par leur exposer la théorie car il est nécessaire de s'entraîner à une gymnastique de l'esprit pour imprimer le dessin à l'envers dans sa tête, au préalable. Il faut penser à toutes les parties qu'on va creuser, à celles qu'on ne va pas toucher, avant de travailler sur le papier et, finalement, de s'attaquer à la linogravure proprement dite », explique-t-elle.
Pour l'heure, les ateliers de Julia Chorin réunissent des personnes âgées de 30 à 50 ans en moyenne.
« Mais j'ai également reçu des enfants et un groupe de retraités qui venaient pour découvrir et s'occuper. Il n'y a bien sûr pas de limite d'âge pour pratiquer la linogravure », rassure-t-elle. Et l'artiste se réjouit de son expérience à Jean Moulin : « Ma plus grande satisfaction, c'est quand des inscrits sont ravis de leur journée et en redemandent ! », s'exclame-t-elle.
Concentration d'énergie
Aussi, la linograveuse apprécie de travailler dans « un lieu avec de l'espace et de la lumière. De plus, les ateliers Jean Moulin possèdent une histoire et offrent la possibilité de s'intéresser à ce que font les autres, dans des domaines différents. Il y a d'ailleurs un certain nombre d'ateliers auxquels j'aimerais m'inscrire », confie-t-elle. « Ça me donne envie de continuer car nous pratiquons tous des métiers de passion. Et quand on aime ce que l'on fait, il faut y aller ! ».
Hugues Roger abonde dans son sens : « L'avantage, ici, c'est qu'on croise une céramiste, un marbreur, un spécialiste de la résine, un tatoueur qui fait des dessins comme je n'en avais jamais vu. Il y a une concentration d'énergie qui offre plus d'opportunités qu'en tant qu'indépendant pur. Ça permet d'élargir ses horizons, de se poser d'autres questions, de tenter des expériences ». Le tailleur, qui en parallèle a travaillé, pendant dix ans, dans un institut de recherches internationales fonctionnant sur un mode similaire à la célèbre Villa Médicis de Rome, retrouve le même système à Plouhinec : « Nous sommes en résidence, travaillons dans des disciplines différentes et nous apportons plein de choses. Les ateliers Jean Moulin, c'est en quelque sorte la Villa Médicis des artisans et des créateurs dans le Cap Sizun. »
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Matthieu Stricot